Voix sublime, présence magnétique… À la fin des années 70, la chanteuse brestoise Annkrist était vouée à une carrière nationale. Rétive au business, elle disparut des radars. Le destin, facétieux, lui offre un retour en grâce, qu’elle met à profit pour revenir en Bretagne.
par Thierry Charpentier – publié le 19 janvier 2023 à 10h21
Le ciel de Paris est ombrageux, ce mercredi matin. Soudain, une éclaircie. C’est le moment que choisit Annkrist pour apparaître dans un petit bistrot de l’avenue d’Italie. Cette gouaille pour commander un café, ce regard ardent, ce sourire canaille… La chanteuse, aujourd’hui âgée de 72 ans, a gardé une sacrée présence. Elle s’est pourtant volatilisée pendant deux décennies. Beaucoup la croyaient même morte, jusqu’à ce qu’un journaliste, Jean-Luc Porquet, fan transi de son œuvre, ne la retrouve et la convainc de rééditer ses disques (*).
Brest, rive droite
Annkrist n’est pas une enfant de Paname. Annick-Christine Le Goaer, pour l’état civil, est brestoise. « Je veux bien vous parler, à condition que ce ne soit pas de ma petite personne », prévient-elle. Elle consent à raconter l’arrivée de sa famille, à la fin des années 50, dans la cité du Ponant. Le papa, originaire de Landudec (29), est marin dans la Royale. Elle a « 8-10 ans ». La famille s’installe à l’Harteloire, puis dans le quartier du Polygone, rive droite. Dans ce paysage brestois encore truffé des baraques de l’après-guerre, elle est comme un poisson dans l’eau. Elle en rit : « C’est là que j’ai fait mes brillants débuts ».
« J’ai un conflit personnel avec les assassins »
Très tôt, la fillette, nourrie d’airs populaires, compose et chante partout où elle le peut. Elle absorbe tout de sa ville, ses perspectives bétonnées, les nuits embrumées, la rue de Siam, ses marins en bordée qui regagnent l’arsenal, et aussi les drames. « Un jour, une voisine est venue nous demander un drap blanc. Mon père a tout de suite compris… ». Lucien, un des gamins du Polygone, venait d’être fauché par un chauffard qui avait pris la fuite. Annkrist n’a jamais oublié. « J’ai un conflit personnel avec les assassins qui se cachent. Je veux qu’ils entendent la voix de ceux qu’ils ont esquintés », raconte-t-elle.
L’hymne des taulards
Cette voix va se faire entendre. En 1975, elle surgit d’un premier album, enregistré sur le label de la « coopérative d’expression populaire » morlaisienne Névénoé. Quel choc ! Quand Annkrist chante, elle a des accents qui rappellent Barbara, la môme Piaf aussi. Sa chanson « Prison 101 », un brûlot féministe dédié aux femmes emprisonnées, est d’une telle force qu’elle devient l’hymne des taulards de la prison de la Santé. Ils la reprennent à tue-tête, au point qu’elle est interdite. Annkrist ne dira rien de son inspiration : « Ce qui m’anime, c’est de réussir la chanson la plus en résonance avec l’intimité de celui qui écoute. Qu’il se sente digne de l’écouter, voilà mon obsession ».
Première partie à l’Olympia
En janvier 1976, elle est très grièvement blessée dans un accident de la route. Elle se relève. Peut-être trop à l’étroit en Bretagne, elle va enregistrer, en 1978 et 1979, deux autres albums, cette fois sur le label Spalax, à Paris. Les textes sont d’une sombre beauté, peuplés de ses colères et d’incroyables alliances de mots. Elle économisera pendant sept ans pour financer elle-même deux derniers opus. Nous sommes en 1987. Gilles Servat, qu’elle admire, l’invite à faire sa première partie, à l’Olympia. Elle reçoit un tonnerre d’applaudissements, et s’esquive.
« Déterminée à vivre »
Annkrist fera encore quelques rares apparitions, dont la dernière, en 2003, sur la scène du Quartz, à Brest. Puis, rideau. Rétive aux concessions, elle disparaît des radars. Elle dit qu’elle n’a pas de regrets, ne s’épanche pas sur sa vie. Et voilà que sa traversée du désert a cessé. Elle est invitée au pays (2). Elle « flippe un peu ». Et après ? Un livre sur sa carrière, sorti grâce aux efforts du poète Jean-Claude Leroy, dévoile les textes de 24 chansons inédites ! Alors, un disque ? « Je suis bien déterminée à vivre jusqu’à ce que je l’ai réalisé ! ». L’instant d’après, elle hausse les épaules : « Y’a pas grand-chose à repêcher dans la cargaison ». Annkrist, femme mystère, s’évanouit dans l’avenue d’Italie.
- 1. Coffret « Annkrist enchantée » (Cristal Iroise/Kuruneko).
- 2. Rencontres avec Annkrist, samedi 21 janvier, à 17 h, chez Dialogues Musiques, à Brest ; dimanche 22 janvier, à 17 h, au café-librairie « Les Métamorphoses », à Douarnenez, et jeudi 26 janvier, à 19 h 30, à la librairie « Comment dire », au 5, rue Jules-Simon, à Rennes.
- 3. « Annkrist », ouvrage coordonné par J.-C. Leroy ; éd. Goater (20 €).