Thierry Charpentier – Le Télégramme, le 19 janvier 2023
C’est grâce aux efforts de Jean-Luc Porquet, journaliste au Canard Enchaîné, que la chanteuse Annkrist a consenti à rééditer ses disques, et à réapparaître. Il raconte sa quête d’une artiste authentique.
Avant d’être journaliste au Canard Enchaîné, Jean-Luc Porquet a travaillé pour Ouest-France, à la fin des années 70. « J’ai vécu à Quimper, puis à Brest. C’est là-bas que j’ai découvert le premier album d’Annkrist, qui m’a accompagné pendant mes trois années dans le Finistère, et bien après. J’avais ses trois premiers albums, et je me disais : Qu’est devenue cette chanteuse magnifique, qui m’a enchantée pendant des années ? ».
« J’ai une copine qui la connaît bien »
Il lui était revenu qu’elle vivait à Paris. « Je ne sais plus où j’avais lu ça… Et puis, il y a quatre ans, une lectrice du Canard, Suzanne Tandé, qui chante le répertoire de Gaston Couté, me dit qu’elle aimerait bien reprendre des compositions d’une chanteuse « dont, certainement, vous n’avez jamais entendu parler, Annkrist ». Sourire de Jean-Luc Porquet : « Attendez, Annkrist, je connais par cœur ! ». Elle me répond : « J’ai une copine qui la connaît bien ». Là, je me suis dit tiens, ce serait peut-être l’occasion de la rencontrer. J’ai demandé son contact, je l’ai appelée et on s’est rencontrés ».
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« Elle était réticente »
Ils se sont beaucoup parlé, revus régulièrement. « Elle m’a offert ses deux derniers albums, dont j’ignorais l’existence. Formidable ! Et très vite, je me suis dit que c’était quand même dommage que ce répertoire exceptionnel ne soit pas à disposition de tout le monde. Elle a un univers à elle, une écriture, une voix, une vision du monde… Elle a tout. Si, moi, elle m’a bouleversé, il n’y a pas de raison que ça n’en bouleverse pas d’autres ». Il lui suggère de ressortir ses albums. « Elle était réticente. Ça a été un long travail de la convaincre que c’était juste faire en sorte que son répertoire vive, qu’il ne soit pas dans un tiroir ».
« Il a fallu faire nettoyer les bandes »
Il l’a convaincue, de haute lutte. « On a créé une association, Cristal Iroise, pour l’occasion. Moi, je n’y connaissais rien. Il a fallu faire nettoyer les bandes, trouver un studio pour faire ça, trouver quelqu’un pour fabriquer les CD, les distribuer… ». C’est le petit label Kuruneko qui s’y est collé. « C’est un petit distributeur, mais pas n’importe lequel ! C’est lui qui va remettre en lumière tout le catalogue du label Saravah, qui a produit tout ce qu’à fait Pierre Barouh, Jacques Higelin et Brigitte Fontaine, Jean-René Caussimon… ».
« Le métier s’est mis à changer »
Samedi 21 janvier, Jean-Luc Porquet fera le voyage jusqu’à Brest, pour le retour au pays d’Annkrist. La fin d’un long intermède… « Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée sans maison de disques, sans contacts, sans soutiens. À l’époque, il n’y avait pas internet. Ses deux derniers albums, elle les a entièrement autoproduits, autofinancés… Elle a beaucoup ramé pour les faire. Elle dit toujours que le métier s’est mis à changer au début des années 80. Il est devenu plus dur, peut-être plus pro. Ce n’était plus les années 70, avec les festivals, les maisons des jeunes et de la culture (MJC), qui marchaient très bien… Peu à peu, les tournées se sont taries ».
« Tout ça est resté très vivant en elle »
Il lui semble qu’Annkrist n’en a pas conçu d’amertume. « Mais pour elle, c’est comme si tout ça, c’était hier. Elle a une mémoire incroyable. Récemment, pour une petite signature, à Montreuil, trois dames avaient fait le déplacement d’Amiens. L’une d’entre elles avait assisté à son dernier concert, en 2003, au Quartz de Brest. Elle avait discuté avec Annkrist à l’issue de son tour de chant. Elle se souvenait parfaitement d’elle. Elle lui a dit : « Oui, je me souviens, je vous avais conseillé de poursuivre vos études… ». Tout ça est resté très vivant en elle. De la même manière, elle se souvient sans hésitation des paroles de ses chansons, alors qu’elle ne les a pas chantées depuis vingt ans, elle les a toujours en tête ».
« Elle est d’une sincérité absolue »
Jean-Luc Porquet estime que les chansons inédites d’Annkrist, dont les paroles apparaissent dans un livre (*), mériteraient d’être enregistrées. « Je pense qu’elle ne rêve que de ça. Il y a notamment un morceau, « la rivière », qui est magnifique. Il y a de quoi faire. Il y a des compositions totalement abouties », poursuit le journaliste, qui place sa rencontre avec la chanteuse au même niveau que celle avec Léonard Cohen, en 1984, à Paris. « Annkrist a la voix, les paroles, l’univers, la vision… Elle touche les gens de manière très profonde. Elle est d’une sincérité absolue ».
(*) «Annkrist». Ouvrage coordonné par Jean-Claude Leroy. Editions Goater (20 €)